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Billets d'humeur
27 avril 2006

RENCONTRE MAGIQUE

296_45_01"Mais qu'est-ce que je fous ici?"... C'est en gros ce que je me suis dit lorsque j'ai débarqué sur l'esplanade de la Défense, hier en fin d'après midi, alors qu'une foule de décérébrés hystériques guettaient le ciel avec avidité. Bousculade, mains tremblantes, regards de fanatiques, on se serait cru immergé dans quelque antique cérémonie payenne et barbare, dans l'attente de l'arrivée du grand maître de cérémonie qui, armé de son kriss, s'appliquerait à immoler sous les psalmodies des fidèles une cinquantaine de vierges pulpeuses et consentantes. Musique tribale, étendards pourpre claquant dans le vent, vision de cauchemar.

Sur le moment une décharge de panique vint me vriller le cerveau. Et si tous ces croyants me perçaient à jour? Enfer démoniaque! Un jeune disciple de cette monstrueuse religion plonge ses yeux dans les miens. Ca y est je suis foutu! Il a vu en moi l'hérétique à lapider. Comment lui expliquer que le monde ne peut s'apprécier que s'il est multiple, tant par la diversité des modes de pensée que par celle des couleurs d'une paire de Converse Chuck Taylor. Heureusement pour moi ce contact visuel ne dure qu'une fraction de seconde. Le jouvenceau reprenait rapidement sa surveillance fiévreuse du ciel. J'en profitais pour m'éloigner discrètement de cette horrible scène.

Point de sacrifice rituel pourtant (quoique...) à l'apogée de ce rassemblement. Non. Simplement la manifestation du vide cérébral qui frappe notre civilisation. Toute cette multitude massée devant la Grande Arche, comme un symbole inversé de celle sensée représenter l'Alliance Universelle, attendait l'arrivée de Tom Cruise venue faire la promo de Mission Impossible troisième du nom.

"Mais qu'est-ce que je fous ici?" disais-je... Une heure plus tôt j'étais au Viêt-Nam, au Tchad, à Kaboul, en Iran. Une heure plus tôt j'étais soldat du Front Polisario, gamin moqueur des rues de Londonderry bravant les soldats de sa Majesté, femme-ombre à Téhéran, immergée dans les spasmes de la Révolution Islamique. Une heure plus tôt j'étais en compagnie de Christine Spengler. Dans une galerie nichée au fond d'une ruelle, elle fait entendre sa voix aux accents de Jeanne Moreau. Ses grands yeux noirs vous attirent irrésistiblement à elle, comme la lumière sur la pellicule de son éternel Nikon. Christine Spengler, c'est la femme dans la guerre, une femme qui, à l'âge de vingt-trois ans, a compris que sa vie serait consacrée au reportage photographique. Une femme qui a mis ses souffrances au service de la compréhension du monde. Il faut l'écouter parler de ses clichés. Elle est intarissable. Et son sourire... espiègle et généreux, mais qui cache mal des blessures profondes.

"Mais qu'est-ce je fous ici?" donc... Passée la colère devant le spectacle d'une foule en adulation pour un symbole du consumérisme absolu, je me sens privilégié. Le coeur léger je me fraie un chemin au travers de ces gens qui n'espèrent plus rien, sinon croiser le regard de ce nabot scientologue qui va bientôt débarquer de son hélicoptère. Je remonte le courant de ce flot d'âmes perdues, revigoré par le souvenir de cette rencontre magique. Un regret pourtant. Ne pas avoir sur moi un appareil photo. Non, pas pour l'ami Tommy, mais pour figer cette scène d'hystérie commerciale. On a les guerres qu'on mérite. Qu'en penses-tu Christine?...

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