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Billets d'humeur
13 juillet 2005

Let's rock!!

Les concerts de rock me manquent. Je dis ça parce qu'après avoir écumé d'innombrables salles pendant des années, la moisson de décibels est plutôt maigre ces derniers temps. Bon quand je parle de concert rock, je ne fais pas référence aux shows sponsorisés par des marques de bagnoles qui entrainent des hordes de jeunes décervelés à s'entasser comme des sardines en boîte sur les pelouses des stades du monde entier, à la recherche de l'ultime frisson devant le spectacle pathétique d'ex-stars quasi séniles se singeant elles-mêmes. Pour moi les Rolling Stones payés par Volkswagen ne valent pas mieux qu'un rassemblement de majorettes le 14 juillet sur une place publique.
Le rock, cette formidable énergie qui a permis tant de digressions, ne s'épanouit correctement que sous trois conditions. Tout d'abord les musiciens une fois sur scène ne doivent penser qu'à une chose, aux sensations que leur guitare, basse, batterie, chant vont produire auprès du public. Ensuite il faut que la scène soit de dimension humaine. J'entends par là un lieu où le public pourra percevoir le moindre battement de paupières des membres du groupe, voir la plus petite perle de sueur couler sur leur front, observer avec précision l'intense jubilation du guitariste au fond de sa rétine au moment où il envoie à la volée son solo le plus destructeur. Enfin, il est indispensable que le public ne soit composé que d'individus qui conçoivent un concert comme une profession de foi. J'ai trop vu de publics poseurs pour constater que bon nombre de spectateurs ne sont là que pour se montrer, pire, pour s'exclamer plus tard "J'Y ETAIS!!!" sans avoir compris ce qui s'était passé devant eux.

C'est pas vrai. Mes voisins ont décidé d'organiser un concours de sonneries de réveil ou quoi? Cela fait plusieurs jours que ces horribles machines donnent de la voix à toute heure de la journée et de la nuit (il est 1h00 du matin) sans que personne ne réagisse. Ces horribles bip-bip me vrillent la cervelle. Plutôt que des boules Quiès, je choisi un p'tit rosé de Provence. Au moins si j'entends des cigales, je saurai pourquoi.

Ce samedi ne s'annonçait pas sous les auspices les plus rock'n'roll. La huitième étape du Tour de France avec enfin un début d'explication entre les cadors du peloton dans la côte de la Schlucht allait m'occuper une bonne partie de l'après midi. Tous les suiveurs de la grande Boucle étaient d'accord pour dire que cette première difficulté donnerait une bonne  indication sur l'état de santé de Lance "E.T." Armstrong. Ayant l'habitude de suivre ce genre d'évènement à la fois sur ma télé, mais également sur l'écran de mon ordinateur pour observer le profil du parcours, je constatais au moment où ceux qu'Albert Londres a nommé les Forçats de la route entamaient leur grimpette, que ma messagerie me lançait un clin d'oeil. Un ami bassiste m'indiquait qu'il se produisait le soir même avec son groupe. Je lui répondais qu'il me serait difficile de répondre positivement à son invitation car je devais me rendre à un apéro-fiesta chez une amie qui, il est vrai, ne me laisse pas indifférent. Je sais, cela ne colle pas avec ce que j'ai pu écrire précédemment, mais les plaisirs de la chair sont parfois plus assourdissants qu'une Gibson branchée à un Marshall 100 watts. Toutefois, mon correspondant insistant sur la nécessité que je vienne assister à son concert, j'en conclu qu'après tout les meilleures soirées sont celles où on arrive en retard.

Je ne sors pas souvent hors de la frontière-périphérique qui entoure Paris. Le concert se déroulait à Saint-Ouen, aussi, pour éviter toute distorsion spatiale au coeur de la banlieue, je décidais de m'organiser un peu, ce qui signifie m'arranger pour bien mémoriser l'adresse du café-concert. Ligne 4, station Clignancourt, sortir aux Puces puis prendre à gauche pour rejoindre un peu plus loin la rue où se situe le Picolo. Un petit détail quand vous empruntez cette ligne de métro. Qu'il fasse à l'extérieur -40 ou +35, il y règne une chaleur incompréhensible. Comme si la RATP souhaitait que les usagers, non contents de subir les effluves fétides de ce gros intestin urbain, devaient également se transformer en papillotes trop cuites.

Le retour à l'air libre sur cette place qui servit d'échafaud à Mesrine a ce côté très speedant des samedis en fin de journée, quand tout le monde se presse sur les trottoirs, les bras chargés des trophées de la course à la  consommation. Tel un missile à tête chercheuse, j'avance d'un pas décidé dans cette foule, ignorant les reflets brillants des vitrines qui s'allongent sur mon chemin, avec une seule idée en tête, trouver le plus rapidement possible le lieu où mon ami m'a donné rendez-vous afin de commencer à remplir mon estomac de bière et mes oreilles de riffs bien saignants. C'est là que ça se gâte. Derrière la Porte de Clignancourt, les Puces de Saint-Ouen s'étendent tel un marécage brumeux pour qui n'est pas habitué à déambuler au sein de ses multiples artères. Après plusieurs minutes d'une marche scandée par les potins de la rue, au milieu d'un amoncellement d'articles de contrefaçon à faire rougir de plaisir un douanier en manque de flag, j'ai soudain la désagréable sensation que mes pas m'ont entrainé un peu plus loin qu'il ne le fallait. Merde, ça sent la galère. Il fait chaud et mon instinct me dit que je vais avoir droit à une visite gratuite. Les rues défilent, identiques comme peuvent l'être celles de ces villes redessinées par le froid compas de l'urbanisme d'après-guerre. Pas moyen également de trouver quelqu'un pour me renseigner, non pas que je n'ai croisé personne, mais au bout de plusieurs "désolé, mais ça fait trop peu de temps que je suis installé ici", on comprend vite que la force financière qui pousse les parisiens à émigrer vers la bordure extérieure n'est pas qu'un mythe.

Complètement déshydraté, je rejoignais enfin le Picolo. Saloon des temps modernes, ce café-théâtre niché au coeur des Puces m'apparaissait telle une oasis. Une vitrine pas très nette surplombée d'une enseigne qui précise encore que dans un passé lointain on y servait une "cuisine bourgeoise", un comptoir sur la gauche d'où s'échappe la conversation aux accents balkaniques de la serveuse, un petit escalier descendant vers ce qui tient de scène, et déjà les va-et-vient frénétiques d'une bande de chevelus qui s'affairent pour installer leurs instruments. A.... m'avait prévenu, "ce soir on joue avec des métalleux". Je retrouve d'ailleurs ce dernier assis à une table devant un expresso, le visage affublé du masque du type qui n'a pas encore digéré sa dernière cuite. Je ne perds pas de temps avec les salutations car pour l'instant seul compte le verre que je m'empresse de commander. La bière a je ne sais quoi de symbiotique avec le rock. Comme si assister à un concert ne pouvait se concevoir sans un verre de mousse à la main. Alors quand en plus la soif s'invite au bal...

Ca commence plutôt mal. L'organisation du concert ne semble pas s'être souciée de la promo car après un temps conséquent passé à boire de la Kronenbourg tièdasse servie gracieusement au catering, le public fait cruellement défaut. Heureusement les metal maniaques qui se préparent à monter sur scène s'en soucient guère. Ils font partie de cette variété de musiciens pour qui rien ne compte plus que de s'éclater entre eux, à échanger des propos sur la meilleure façon de disposer leurs amplis pour un rendu sonore le plus efficace possible, à narrer avec précision leurs dernières répétitions, à s'envoyer des vannes bien lourdes ponctuées de rots tonitruants. Ne vous méprenez pas, je n'ai rien contre ce style musical. Pour moi "Killers" d'Iron Maiden est l'un des meilleurs albums qui aient été composés. Seulement les représentants de cette caste n'ont pas besoin d'une meute enragée de fans pour s'exprimer. Ils vivent leur musique pour ce qu'elle est, de la pure adrénaline toute droite sortie de leur inspiration.

Le groupe de mes potes n'est pas tout à fait sur la même longueur d'onde. Face aux morceaux à rallonge des métalleux, leur crédo c'est "quinze titres, quinze minutes!". On appelle ça du grindcore, version sauvage et amphétaminée du punk. Un grand cri sauvage qui vous prend les tripes et fait subir au cerveau l'équivalent du mode essorage d'une machine à laver. Bref, ça déchire.
Leur set, initialement prévu en levée de rideau, est finalement reporté. Deux formations vont d'abord s'acharner à marteler les tympas de l'auditoire. On a trop souvent tendance à croire que plus une salle est grande, plus la sono sera puissante. Erreur. C'est au contraire dans les petits clubs que le volume sonore se ressent véritablement à travers tous les pores de la peau. Et on peut dire que les premiers groupes à officier n'ont pas manqué de le rappeler. Les guitares Jackson font vrombir les amplis et la double pédale de grosse caisse remplit les vides. Les headbangers s'en donnent à coeur joie.

Pendant ce temps je m'applique à engouffrer tout verre passant à portée de la main. A l'extérieur du bar je fais connaissance avec la faune locale. L'alcool aidant, je me lance dans une conférence improvisée sur ma formation musicale, ma passion pour les Ramones, et mon ignorance presque complète de la scène punk underground actuelle. En vieux combattant, je place quelques références au sujet de la scène alternative française des années 80. Ceux pour qui les noms OTH, les Shérifs et Gougnaf Mouvement n'éveillent rien ne peuvent pas savoir de quoi je parle. Ils représentent pour moi les échos assourdis d'une adolescence rythmée par les concerts hebdomadaires dans des MJC sordides et des salles aux sous-sol enfumés. Rien de noir dans tout ça, mais au contraire des années glorieuses d'initiation aux trois accords. Des années qui m'auront pour toujours marquées du sceau d'une culture, d'une manière d'envisager l'existence qu'aucun évènement ne pourra effacer.

Le temps passe et il est bientôt l'heure pour mes camarades de passer à l'action. Seulement voilà je ne suis pas le seul à picoler. A.... notamment s'en donne à coeur joie, oubliant sa gueule de bois à grands coups de whisky et de soupe de houblon. Plus le moment de réfléchir, la scène les attend. Crépitement d'une enceinte, tintement léger de cymbale, puis soudain le Mur du Son!! Du chaos acoustique s'élève l'harmonie de la rage à l'état pure, une rage propulsée à la vitesse d'une 1100 compteur bloqué. Rien ne peut résister au rock quand il est joué de cette façon. Imperceptiblement la tête se met à osciller comme un Zébulon sous cocaïne, le souffle s'accélère, et le coeur se prend pour une boîte à rythmes. Une minute plus tard, le fracas acoustique cesse sans préavis, pour reprendre soudain de plus belle. Les métalleux du Picolo ne s'y trompent pas. En transe, ils s'emparent du chanteur pour le porter au-dessus de leur tête, comme si en lui faisant prendre de l'altitude ses hurlements allaient se répandre sur la Terre entière. Certains même vont aller jusqu'à se foutre à poil.

Un quart d'heure plus tard, tout est fini. Paradoxalement, après tant de fureur, des visages des musiciens émane une étrange sérénité. La joie qu'ils semblent ressentir est communicative. Je m'empresse d'aller les féliciter, afin de tenter de partager avec eux cette magie, cette rare alchimie qui naît de l'association d'une guitare, d'une basse, d'une batterie et d'un chant. "Nous n'avons pas très bien joué" me diront-ils par la suite. Qu'importe, j'ai eu ma dose...

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papillon!!
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